Bienvenue dans l’enfert vert
Nous quittons la nationale et, progressivement, la civilisation. La végétation est de plus en plus dense, la présence de l’eau omniprésente. Partout des mares, des fossés, des bayous au-dessus desquels doivent, même si nous ne les distinguons pas, tournoyer des nuées de moustiques agressifs. Une pancarte sommaire nous indique la direction de « Culỡn », principale bourgade du secteur, encore fréquentée par des touristes téméraires en mal d’aventure. Le village est coupé en deux par le « Rio Niortès ». Une noria de pirogues amarrées le long des berges permet le passage d’une rive à l’autre. Il existe bien un pont mais il est situé plus loin, à la sortie du patelin.
Passé « Culỡn », c’est la jungle ! Nous nous enfonçons dans une forêt
luxuriante peuplée de cris d’oiseaux. La piste est sinueuse, elle suit les méandres du Rio. Encore quelques miles et le campement où l’on nous attend est en vue.
Quel dépaysement ! Il est à peine onze heures du matin et le soleil cogne déjà. Au moins quinze degrés Celsius ! Nous sommes accueillis par des membres de l’expédition arrivés la veille au soir. Leurs tentes sont installées au milieu d’une clairière. Des tables de bois, probablement taillées à la machette, trônent au milieu du campement. Nous faisons la connaissance de nos deux guides « Lisa et Francesco Bertrãn », deux autochtones, parfaitement à l’aise dans ce milieu hostile que constitue la « Venecia Verde ». La barbe hirsute, cigarillo aux lèvres, Francesco nous souhaite la bienvenue. Il s’exprime dans un français châtié et ne semble avoir aucune difficulté à manier la langue de Molière … ce qui ne laisse pas de nous étonner.
Onze heures quinze … Les derniers membres de l’équipe que nous attendions arrivent : le
professeur Bruno, sommité mondiale dans le domaine de l’étude des chants d’oiseaux, accompagné de ses filles et de sa charmante épouse. On se regroupe pour déjeuner avant le départ dans les
« conchas », sortes d’arroyos qui quadrillent le marais en tous sens, constituant ainsi un véritable labyrinthe. Le repas expédié, Georges, le chef de l’expédition amicalement surnommé
pour l’occasion « El Presidente Jorge OICO
» nous rappelle le but de notre venue ici. Nous devons trouver des traces, des indices, voir e même localiser
l’animal mythique qui fréquente cet endroit : le « Ratupulami ». La tâche n’est pas aisée, la bestiole pourtant aperçue maintes fois, ne se laissant pas facilement
approcher.
Treize heures … Tout le monde embarque. Canoës et kayak en bois glissent sous les frondaisons. Il faut être vigilant, le danger est partout. De
longues lianes pleines d’épines pendent des branches qui nous surplombent. Nos guides nous ont prévenus : outre les piranhas, invisibles mais certainement présents qui pourraient bouffer le
bout de nos pagaies, il faut aussi se méfier des émanations de méthane libéré par le frottement des avirons dans la vase du cours d’eau.
La moiteur nous enveloppe … au moins vingt degrés au compteur. Pourtant, vaillamment, chacun s’accroche. Le paysage est magnifique, un camaïeu de
verts s’offre à nos yeux éblouis. Chaque participant a la sensation de vivre un moment unique. Pourtant, le regard rivé sur la poupe de l’embarcation qui nous précède, nous n’osons même pas imaginer ce qu’il
adviendrait de nos pauvres carcasses si, d’aventure, nous nous perdions dans ces marais !
Ces espaces sauvages abritent une faune nombreuse, diverse et varié e. Julie, la fille aînée du professeur Bruno, est une spécialiste reconnue en matière de bovidés. Elle nous aide à identifier les différentes races rencontrées le long des « conchas ».
Certains animaux sont très agressifs ! Il faut savoir adopter la bonne attitude lorsqu’on les rencontre. Sergio et Patricio, deux
vieux baroudeurs de l’équipe, bien qu’intérieurement tendus à l’extrême, affichent un grand sourire destiné à calmer, pour l’un la férocité d’un volatile palmé, pour l’autre la menace du ragondin
pelucheux dont la stratégie consiste à se laisser tomber sur le navigateur imprudent du haut des arbres qui surplombent les cours d’eau. Mais du « Ratupulami » … point de
traces !
L’après-midi s’écoule doucement. Des rais de lumières, dans lesquels dansent les insectes du marais, trouent la sylve. Les embarcations fendent l’onde dans un bruissement feutré à peine perceptible. C’est magnifique !
Bredouilles mais heureux, nous rejoignons le campement avant que la nuit tombe. Après une toilette sommaire, nous nous
rendons tous au village proche où nous sommes accueillis dans ce que nous pensons être « la case commune ». C’est du moins la traduction que nous faisons du texte écrit en langage local
sur une pancarte située au-dessus de la porte : « O bon manjahe ».
Là, notre petite troupe fait honneur aux mets du coin puis, en remerciement, entonne une série de chants qui subjuguent
littéralement nos hôtes, même si de toute évidence, ils n’en comprennent pas toute la signification.
De retour à la base, chacun se prépare pour la nuit. Il faut reprendre des forces, demain les recherches continuent.
Dimanche treize mai. Le soleil perce gentiment la brume du petit matin. Les yeux encore englués de sommeil. j’écarte la toile de la tente qui nous a abrités pour la nuit et … stupéfaction !! … là, à cinq mètres devant moi, suspendu à une grosse branche, le nid du « Ratupulami » !
En y regardant de plus près, je m’aperçois qu’il s’agit, en fait, du hamac high tech de notre compagnon Jean-Luc. Sa forme, on
ne peut plus particulière (On parle du hamac, pas de Jean-Luc), m’a induit en erreur. L’engin, provenant du Canada, ressemble à une énorme chrysalide couleur kaki.
Pour l’heure, le papillon qu’elle contient ronfle comme un sapeur, le derrière au ras de la rosée. Une fois réveillé, notre ami nous fera l’article. Il nous racontera qu’il a commandé la chose à Vancouver. Cette information permettra à un petit plaisantin de déclarer qu’il s’agit donc d’un modèle « Vents Couverts », parce que le hamac en question est fermé et qu’on peut péter dedans ! Il ne rajoute pas, mais on sent qu’il y pense, qu’au locataire de l’endroit on pourra dire : « Ah ben mon vieux Rat, tu pues l’ami ! ».
Le petit déjeuner englouti, toute l’équipe part en convoi au port de « La Garetta » pour une nouvelle journée de navigation à la recherche du fabuleux animal. Arrivés sur les lieux, nous sommes confrontés à une première difficulté … et une difficulté de taille : un saut de la rivière, d’une vingtaine de centimètres au moins, se trouve sur notre gauche. En pagayant comme des furieux, nous réussissons à ne pas nous faire entraîner dans les cataractes et nous dirigeons vers le petit port d’ « El Vanỡ ».
Après avoir emprunté tout un réseau de « conchas », nous nous retrouvons sur un cours d’eau plus large : « La Grande Rigola ».
Bientôt, un nouveau barrage se dresse à l’horizon. Le portage s’organise, les plus costauds transportent nos esquifs tandis que les autres, sur le qui-vive, surveillent les alentours. Le danger est grand ! Nos guides, Francesco et Lisa nous ont en effet mis en garde sur la possible présence dans le secteur, d’une tribu d’indiens farouches : « Los Pompieros ».
L’expédition poursuit sa route. Après un passage sous une passerelle, nous distinguons au loin le village d’ « El Vanỡ » où nous comptons nous restaurer.
Sur un signe de Francesco, nous nous arrêtons net ! … Ils sont là ! …. Et en nombre avec ça !.... « Los Pompieros » !!!
Ils nous ont aperçus, impossible de reculer. Prudents, nous nous approchons pour débarquer. Ils sont une bonne trentaine, leur corps est couvert d’un tissu couleur bleu nuit, strié par endroits de bandes jaune fluo. Un couvre-chef à visière, coiffe la tête de certains d’entre eux. Aux pieds, ils portent de grossières galoches montantes en cuir noir. Nous cherchons en vain leurs pirogues. Apparemment ils sont venus là dans de gros chars, d’un rouge rutilant, stationnés non loin de là.
Curieusement ils ne semblent pas hostiles. Il faut dire qu’ils semblent occupés à une cérémonie d’initiation. Nous en avons la preuve, lorsqu’après avoir poussé un long cri sauvage, ils balancent à l’eau un de leurs jeunes guerriers.
Un instant nous craignons le pire, mais souriant et ruisselant, il ressort du rio sous les encouragements et les sourires hilares de ses congénères.
Le plus téméraire d’entre nous, Grand Gourou Météo, s’approche alors de celui qui semble être le chef et parlemente un moment avec lui. Tout semble bien se passer et quelques instants plus tard, « Los Pompieros » disparaissent sous les frondaisons.
Soulagés, nous sortons nos victuailles et reprenons des forces. Un ami de nos guides nous fait passer une gourde remplie d’un
alcool local : « La Trus Pinetta » ; ça n’est pas mauvais du tout.
Les bonnes choses ayant une fin, toute la troupe repart. Les arroyos se succèdent. Dans la moiteur de la jungle, les visages suent à grosses gouttes et .. toujours pas la moindre trace de « Ratupulami » !
Nous nous retrouvons, une fois encore, sur le « Rio Niortès » en direction de « Culỡn » où nous faisons une halte bienvenue après les émotions éprouvées quelques heures auparavant.
Puis c’est un dernier embarquement en direction de « La Garetta » où nous retrouvons nos véhicules. Un constat s’impose : nous n’avons pas trouvé la moindre trace du « Ratupulami », il faudra remonter une expédition l’année prochaine !
le rat'à plume
marais-poitevin 2011 -12 à partir dela page 9 pour l'édition 2012
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